
Plusieurs chaînes laser de haute énergie sont en cours de montage et d’exploitation dans le monde pour initier de la fusion nucléaire par confinement inertiel, notamment au LLNL avec le National Ignition Facility (NIF, Livermore USA) et au CEA CESTA avec le laser Mégajoule (LMJ, Le Barp-Bordeaux). L’approche par confinement laser a franchi des étapes importantes ces dernières années, notamment en décembre 2022 lorsque le NIF a annoncé avoir obtenu pour la première fois un gain entre l’énergie générée par la réaction de fusion et l’énergie des faisceaux laser ayant permis de l’initier.
Le laser Mégajoule comprend 176 faisceaux délivrant des impulsions laser nanosecondes polarisées linéairement. Après amplification dans le proche infrarouge et triplement de fréquence pour atteindre une longueur d’onde de 351 nm, ces faisceaux convergent vers une cible située au centre d’une grande chambre d’expérience, chambre sphérique d’une dizaine de mètres de diamètre. Pour accéder à l’intérieur de la chambre, les faisceaux doivent traverser des hublots transparents répartis autour de la chambre. Ces hublots en silice sont des éléments critiques car ils assurent le vide à l’intérieur de la chambre et parce que, situés en bout de chaîne laser, ils sont traversés par des faisceaux dont l’énergie est alors maximale. L’intensité des faisceaux peut conduire à la génération d’effet Kerr, un effet non linéaire du 3° ordre, capable d’entrainer une auto-focalisation des faisceaux dans le verre. L’auto-focalisation par effet Kerr peut endommager la matière en créant de multiples filaments qui posent un véritable défi pour l’augmentation en énergie/puissance des installations laser énergétiques de type NIF/LMJ.
Pour contrer ce phénomène, des chercheurs du CEA-CESTA, du CEA-LETI et de l’Institut Fresnel (CNRS, AMU, Centrale Marseille) ont tiré profit d’une propriété de cet effet non linéaire : l’effet Kerr dépend de la polarisation du faisceau laser et peut être réduit en basculant d’une polarisation linéaire à une polarisation circulaire. Mais comment manipuler la polarisation de faisceaux laser si énergétiques ? En effet, si une telle lame, dite « quart-d’onde », permet de convertir une polarisation linéaire en une polarisation circulaire, les matériaux anisotropes classiquement utilisés pour réaliser ces composants ne peuvent être traversés par des faisceaux laser aussi énergétiques sans s’endommager au gré des tirs. La silice amorphe est le matériau le plus indiqué pour ces faisceaux, mais elle est de nature isotrope et n’a alors aucune influence sur la polarisation du faisceau en incidence normale…
L’idée suivie par l’équipe de recherche est la suivante : créer une anisotropie en structurant la silice amorphe avec des sillons linéaires profonds et très rapprochés. Plusieurs difficultés se présentent pour concevoir et réaliser cette lame quart d’onde si particulière : la période de structuration doit être inférieure à la longueur d’onde du laser qui est ici très courte pour ces faisceaux laser UV à 351 nm, le rapport d’aspect (rapport entre la hauteur et la largeur des motifs) doit être supérieur à 4 pour compenser le faible écart d’indice de réfraction entre la silice et l’air, le retard de phase doit être associé à une transmittance quasi parfaite et le procédé de fabrication doit être non polluant afin de permettre à la lame quart d’onde de supporter les hautes fluences de ces chaînes laser.
L’équipe de recherche a tout d’abord montré dans une première étude1 la possibilité de réaliser une lame en silice nanostructurée de 5×5cm2 d’une période de 260 nm et d’une profondeur de gravure de 750 nm capable de répondre à ce cahier des charges, en induisant un retard de phase équivalent à /5 avec une transmittance supérieure à 95%. Les tests d’endommagement ont montré que ces lames en silice sont capables de supporter des fluences laser très élevées sans s’endommager. Dans un second temps, l’équipe a développé une seconde version de cette méta-optique sur une surface utile de 11×11cm2 avec une période encore plus courte (230 nm), afin d’améliorer la transmittance, une profondeur de gravure atteignant 1µm leur permettant d’atteindre une conversion de polarisation optimale, et deux orientations de gravures permettant de générer, suivant la zone éclairée, une polarisation circulaire droite ou gauche. Cette méta-optique a été utilisée afin de réaliser des tests de filamentation dans du verre en polarisations linéaire et circulaire. Les mesures ont montré qu’à une fluence de l’ordre de 5 J/cm2, une polarisation circulaire permet d’éviter tout phénomène de filamentation pourtant bien présent en polarisation linéaire. A une fluence de 7 J/cm2, la polarisation circulaire permet de réduire le taux de filamentation à un taux équivalent à celui observé à 5 J/cm2 en polarisation linéaire2.
Ces travaux montrent l’intérêt du contrôle de la polarisation pour le développement de chaines laser de haute énergie, et de l’approche des métasurfaces pour concevoir des lames d’onde en silice capables de supporter de telles fluences lasers. Outre le bénéfice d’un tel composant pour repousser le seuil d’apparition de l’effet Kerr, il peut également être utilisé pour manipuler la polarisation à des fins de lissage optique dans le but de limiter les instabilités paramétriques lors de l’interaction laser/cible. L’enjeu à venir réside dorénavant dans l’augmentation de la dimension de ces composants optiques pour envisager une potentielle intégration sur la chaine laser.
Références
– N. Bonod, P. Brianceau, J. Néauport, “Full-Silica Metamaterial Wave Plate for High-Intensity UV Lasers” Optica 8, 1372-1379 (2021)
– N. Bonod, P. Brianceau, J. Daurios, S. Grosjean, N. Roquin, J.-F. Gleyze, L. Lamaignère, J. Néauport, “Linear-to-Circular Polarization Conversion with Full-Silica Meta-Optics to Reduce Nonlinear Effects in High-Energy Lasers” Nature Commun. 14, 5383 (2023)